jueves, 23 de enero de 2014

Juan Gelman

Juan Gelman (1930-2014) : la vie de combat, de tendresse et de deuil d'un poète argentin



Le poète argentin Juan Gelman à Monterrey en juillet 2008.


el sufrimiento/¿es derrota o batalla? / 
realidad que aplastás/¿sos compañera? / 
¿tu mucha perfección te salva de algo? / 
¿acaso no te duelo/te juaneo/ 
 
te gelmaneo/te cabalgo como 
loco de vos/potro tuyo que pasa 
desabuenándose la desgraciada? / 
¿esa que llora al pie de mis muereras? / 
 
¿acaso no te soy para padrearte? / 
¿me vas a disculpar que te hije mucho? / 
realidad que sufrís como pariendo/ 
tu sufridero/¿canta para mí? / 
 
¿contra mí? /¿me mostrás lo que yo sea? / 
¿me estás alando/ala de mi furor? / 
¿te descriaturás como paloma 
que busca un ojo ciego para ver? 


Une vie pavée de deuils et d'exils mais aussi de convictions humanistes inébranlables et d'âpres luttes contre les dictatures d'Amérique latine : ainsi apparaît l'existence du grand poète argentin Juan Gelman, mort mardi 14 janvier à Mexico où il s'était installé il y a plus de vingt ans et qui fut la dernière étape d'un long exil forcé après le coup d'état militaire de 1976. Il était âgé de 83 ans.

Né le 3 mai 1930 à Buenos Aires, Juan Gelman est le troisième enfant d'un couple d'immigrants juifs venus d'Ukraine. Précoce, il apprend à lire à 3 ans, rédige à 8 ans ses premiers poèmes et se voit pour la première fois publié à 11 ans par la revue Rojo y Negro (Noir et Rouge). Bientôt, vient le temps de l'engagementpolitique. A quinze ans, il adhère à la Fédération des jeunes communistes argentins, hésite à se diriger vers un avenir de chimiste, mais préfère finalement la poésie. Au milieu des années 1950, il fait partie du groupe El Pan duro (Le Pain dur) qui publie une poésie radicale, puis il commence une carrière de journaliste dans les années 1960.

AU SEIN DE LA GUERILLA
C'est à cette époque qu'on le retrouve aussi militant au sein d'une organisation de guérilla, les Montoneros. En 1975, il est envoyé en mission à l'étranger par les Montoneros pour dénoncer les violations des droits de l'homme sous le régime d'Isabel Peron (1974-1976). C'est lors de cette mission, en 1976, qu'a lieu le coup d'état du général Jorge Rafael Videla. Commence dès lors pour Gelman, une longue vie d'exil, de Rome à Madrid, Managua, Paris, New York et enfin Mexico.
Pendant toutes ces années pourtant, il est impossible de dissocier l'histoire de Juan Gelman de celle de son pays. « On dit qu'il ne faut pas remuer le passé, qu'il ne faut pas avoir les yeux sur la nuque, écrivait-il en 2008. Mais les blessures ne sont pas encore refermées. Elle vibrent dans le sous-sol de la société comme uncancer sans répit. Leur seul traitement est la vérité et ensuite la justice. L'oubli est à ce prix. » Ces paroles, Juan Gelman les prononce à propos des plaies indélébiles infligées au peuple argentin, de 1976 à 1983, par la dictature. Le poète sait de quoi il parle. Si l'on estime entre 20 000 et 30 000 le chiffre des disparus – les Argentins disent « desaparecidos » -, les proches de Gelman, et notamment son fils et sa belle fille, tous deux militants de gauche, l'auront été d'une façon atrocement spectaculaire.

DOUBLE DISPARITION

miércoles, 22 de enero de 2014

La beauté, la justice, l’ordre… Voilà sur quoi sont bâties les civilisations

Jacques Le Goff : « La beauté, la justice, l’ordre… Voilà sur quoi sont bâties les civilisations »

Propos recueillis par Nicolas Truong
http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/01/21/jacques-le-goff-la-beaute-la-justice-l-ordre-voila-sur-quoi-sont-baties-les-civilisations_4352034_3260.html

Historien médiéviste de renommée internationale, auteur d'une oeuvre monumentale, Jacques Le Goff a publié Le Moyen Age et l'Argent (Perrin, 2010), A la recherche du temps sacré, Jacques de Voragine et la Légende dorée (Perrin, 2011), Le Moyen Age expliqué en images (Seuil, 2013) et, plus récemment, le 9 janvier, Faut-il vraiment découper  l'histoire en tranches ? (Seuil, 224 p., 18 €).


Pourquoi parrainer  la collection « Histoire & civilisations » ?

Cette collection me paraît répondre  à une exigence essentielle de l'édition dans le domaine de l'histoire : mettre  à la disposition d'un grand nombre de lecteurs une somme de connaissances qui, sans relever  de l'érudition, est nécessaire à l'éducation de l'honnête homme d'aujourd'hui. Cela me semble d'autant plus important que, dans certains pays dont la France fait partie, l'histoire est aujourd'hui en recul dans l'enseignement. Il s'agit là d'une erreur inquiétante, car l'histoire est individuellement et collectivement nécessaire à la compréhension du monde et à notre rôle dans son fonctionnement.

Y compris l'histoire ancienne et médiévale ?

Il faut redonner  de l'importance et de l'influence à la connaissance du passé antique et médiéval : notre existence vit d'héritages et ces héritages ne sont pas un simple retour nostalgique sur le passé. Ils sont et doivent être  un tremplin pour l'avenir . Dans ce cadre, cette part donnée à la longue durée est capitale. Il me semble d'ailleurs que, dans la période à venir , il serait important que nous ayons des spécialistes de ce que l'on appelle aujourd'hui la préhistoire, dont je pense que, grâce en particulier à l'archéologie, on devrait découvrir  de nouveaux témoignages qui permettront de mieux répondre  à la question : « D'où venons-nous ? »

Les historiens peuvent apporter  principalement deux choses. La première, c'est la connaissance des héritages. Si je ne crois pas qu'il y ait un sens de l'Histoire, malgré tout, l'histoire vit en partie d'héritages que nous devons connaître  pour apprendre  à en profiter  et savoir  les utiliser . D'autre part, la connaissance de l'Histoire et l'esprit historique nous forment à mieux nous servir  de ce qui constitue une donnée fondamentale de notre existence individuelle et collective : le temps. Le monde et nous-mêmes, nous évoluons, nous changeons et ces mutations, c'est l'histoire qui les constitue. L'histoire en tant que matière de connaissance est ce qui permet de mettre  en perspective les mutations en oeuvre à l'heure actuelle.

Qu'est-ce qui distingue une civilisation d'une culture ?

La civilisation repose sur la recherche et l'expression d'une valeur supérieure, contrairement à la culture qui se résume à un ensemble de coutumes et de comportements. La culture est terrestre quand la civilisation est transcendante. La beauté, la justice, l'ordre… Voilà sur quoi sont bâties les civilisations. Prenez le travail de la terre, la culture va produire  de l'utile, du riz, là où la civilisation engendrera de la beauté, en créant des jardins.

En Extrême-Orient, les différences entre les civilisations chinoise et japonaise s'expriment dans la structure de leurs jardins. Le jardin chinois aime le désordre et le secret, tandis que le jardin japonais est très ordonné et octroie une place importante à l'eau. On devine leurs influences religieuses et spirituelles, bien qu'ils exposent deux rapports très différents au religieux, avec d'un côté une religion du mystère, le taoïsme chinois, et de l'autre une religion de la lumière, le shintoïsme japonais.

Mais pour prendre  un exemple plus proche de nous, il existe une opposition forte entre le jardin à l'anglaise et le jardin à la française, le premier est fouillis, c'est un lieu romantique, propice à la rêverie, tandis que le second est très construit et structuré, c'est un jardin cartésien, érigé sur le terrain de la rationalité. La culture privilégie l'idée d'utilité, de sécurité et de richesse, contrairement à la civilisation, pour qui le spirituel et l'esthétique ont bien plus de valeur.

Comment les civilisations naissent-elles ?