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1 avril 2013
Par
ANNE-CLAIRE GENTHIALON
Alcôves. Le sexe au Moyen Age était-il si chaste ? Entre
bordels, interdits religieux et rapport ambivalent au plaisir, exploration des
us et coutumes.
Droit de cuissage, ceinture de chasteté et flagellation ;
ou alors partouzes dans les donjons ? Niveau sexe, au Moyen Age,
notre imagination est galopante et peuplée de préjugés. La ceinture de chasteté
? Une invention de la Renaissance. Le droit de cuissage ? Jamais prouvé.
Pas facile de donner à voir concrètement ce à quoi pouvaient ressembler les
parties de jambes en l’air de Godefroy et de Cunégonde, leurs positions ou
leurs interdits. C’est pourtant le défi relevé par Jacques Rossiaud dans son
ouvrage Sexualités au
Moyen Age (1).
Pour étudier ces chaleurs d’un autre temps, le médiéviste,
professeur émérite à l’université de Lyon-II et auteur d’ouvrages sur la
prostitution au Moyen Age, a mobilisé les traités médicaux, mais aussi une
foultitude d’écrits religieux, d’archives criminelles, d’actes impériaux
abordant les problèmes de la conjugalité, recueils de lois et de coutumes,
actes notariés, mais aussi des romans, des contes et des farces. Bref, toute
une documentation qui «permet
de connaître les façons fort diverses avec lesquelles les gens du
Moyen Age pensaient et pratiquaient la charnalité».
Résultat ? «Les
réalités médiévales des royaumes de la chair ont été moins uniformes, moins
austères, moins réprimées que les historiens d’hier se complaisaient à le
croire, clame Jacques Rossiaud. Même si, en mille ans, des
invasions barbares à la Renaissance, «les
perceptions de la chair et de ses faiblesses» ont eu le temps
d’évoluer…
La position du «cheval érotique»
Le Moyen Age, millénaire du missionnaire ? Pour les
cléricaux, la position de l’acte doit être celle la plus favorable à la
reproduction. Et cela passe par effectivement la femme en dessous et l’homme
dessus. «Les positions
déviantes provoquent la colère de Dieu, outragent l’ordre naturel et peuvent
donner lieu à des conceptions monstrueuses», relève Jacques
Rossiaud. Mais après le XIIe siècle, les religieux sont moins
regardants sur le kamasutra des chaumières, l’essentiel étant que la semence
soit émise dans le bon orifice. A une exception près : la position du «cheval
érotique» (la femme dessus) est toujours autant réprimée car considérée comme
dangereuse par les médecins et répréhensible pour les théologiens. Pas sûr que
ces recommandations soient suivies pour autant. Dans les fabliaux et les
farces, bien souvent pornographiques, «les
auteurs font hurler le corps en une multitude de postures : leurs héros
taburent, mateculent, catènent, creponnent, prennent à la turquoise…»,
écrit l’historien. On «laboure
à brachet», à «pisse
chien», à «entrepons».
Conclusion de l’historien : «
Décrire une relation déviante,
même si elle est condamnée, permet malgré tout d’en signaler l’usage.»
La génuflexion contraceptive
Décoctions de laitue, de saule, de peuplier… Insensé le
nombre de plantes contraceptives et abortives de l’époque. Mais il y avait
aussi d’autres techniques plus artisanales : accroupissements, génuflexions
après la partie de jambes en l’air, éternuements, amulettes données par le curé
ou carrément des injections d’eau glacée pour «refroidir la semence».
Ces pratiques existent plus chez les citadins que chez
les ruraux, plutôt dans les classes moyennes que dans la haute. Et quand ces
méthodes, ô combien rassurantes et fiables, échouent, l’avortement existe. «Quand les drogues faisant "revenir
les fleurs" se montraient sans effet, relève Jacques Rossiaud. Il fallait en venir aux techniques les
plus efficaces : étouffement du fœtus dans le ventre de la mère par compression
des vêtements, coups…»
Le calendrier des rapports
Impossible de forniquer tranquille ! Les recommandations
sont très claires : mieux vaut ne pas excéder deux rapports hebdomadaires. Pas
la peine de râler, de toute façon, c’est mauvais pour la santé : l’orgasme
équivaut à deux saignées et «l’abus
de coït abrège la vie, dessèche le corps, réduit le cerveau, détruit les
yeux…», prêche-t-on à l’époque. Avant 1200, les «temps interdits et déconseillés»
sont nombreux, pouvant atteindre jusqu’à 250 jours de
ceinture.Heureusement, à partir du XIIIe siècle, canonistes et
théologiens sont plus relax. Pas de sexe à Noël, à Pâques, à la Pentecôte et à
l’Assomption. A noter toutefois que si les époux doivent rester chastes, les
bordels municipaux, eux, sont ouverts. Et quel est le moment le plus recommandé
pour faire l’amour pendant la journée ? Selon Platine, humaniste et
bibliothécaire du pape au milieu du XVe siècle, «on doit éviter l’acte quand on est plein
de vin ou d’autres viandes». Mais aussi «quand on a l’estomac vide et quand on a très faim car une
personne trop maigre et sèche deviendra étique et perdra sa chaleur naturelle».
Mais Platine, quand alors ? «La
bonne heure pour le faire est quand la nourriture est presque digérée, quand on
n’a pas envie de dormir ou de faire autre chose…»
Que de bordels !
«Jouir
en payant, c’est jouir sans péché», pense-t-on encore au XVIe siècle. Au
Moyen Age, la prostitution est bien tolérée dans la société. «Dans la cité du second Moyen Age,
autour de l’île des relations légitimes, conjugales et sacralisées, s’est
constamment étendu un océan de fornication tarifée», constate
Jacques Rossiaud. On pense que c’est un moindre mal : il vaut mieux que les
hommes se satisfassent avec une prostituée plutôt que de corrompre leur femme,
de risquer de prendre les filles des autres ou, pis, de se satisfaire
eux-mêmes.
Les prostituées officient dans des bordels, des maisons
de tolérance, des bains et même des établissements publics. Ces endroits
d’immunité conjugale sont aussi des lieux d’éducation sexuelle pour les jeunes
garçons qui viennent apprendre «à
chevaucher» pour se préparer à une saine conjugalité. Et l’Eglise
dans tout ça ? Pas de quoi s’inquiéter de sentences divines puisque «les ecclésiastiques eux-mêmes ne sont
pas les derniers à fréquenter le lieu. Ils forment, à Dijon au XVe siècle,
20 % de la clientèle des étuves et des bordelages privés».
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