miércoles, 24 de agosto de 2011

Pensamiento - Entrevista con Henri Bergson en 1911.

 «Je n'ai pas de système»

LES GRANDS ENTRETIENS DE L'ÉTÉ. Le 19 août 1911, l'auteur du «Rire» recevait à son domicile d'Auteuil un critique parisien. Une rencontre exceptionnelle pour un penseur qui fuyait la presse et le tapage fait autour de son nom

Henri Bergson né en 1859 à Paris, est un philosophe français. Refusé par la Sorbonne, il entre au Collège de France en 1900 et sera élu académicien en dépit d'une violente campagne de la revue «l'Action française». Longtemps tenté par une conversion au christianisme, il y renoncera à la fin des années 1930 afin, écrit-il, de «rester parmi ceux qui seront demain des persécutés». Il meurt en 1941 et laisse entre autres ?oeuvres majeures: «Matière et Mémoire» (1896), «le Rire» (1900), «l'Evolution créatrice» (1906) et «les Deux Sources de la morale et de la religion» (1932). (c) SIPA

Henri Bergson né en 1859 à Paris, est un philosophe français. Refusé par la Sorbonne, il entre au Collège de France en 1900 et sera élu académicien en dépit d'une violente campagne de la revue «l'Action française». Longtemps tenté par une conversion au christianisme, il y renoncera à la fin des années 1930 afin, écrit-il, de «rester parmi ceux qui seront demain des persécutés». Il meurt en 1941 et laisse entre autres ?oeuvres majeures: «Matière et Mémoire» (1896), «le Rire» (1900), «l'Evolution créatrice» (1906) et «les Deux Sources de la morale et de la religion» (1932). (c) SIPA


Le courtois quinquagénaire à monocle qui ouvre son salon ce samedi 19 août 1911 au journal «l'Opinion» est bien plus qu'un homme, c'est un mythe. Le penseur le plus important depuis Kant, écrit à la même période «le Mercure de France». Quatre ans auparavant, Bergson a publié «l'Evolution créatrice». Le grand public le connaît, ses cours au Collège de France attirent une foule sans précédent, sa notoriété a même franchi l'Atlantique. Ainsi se bousculera-ton bientôt jusqu'à Columbia pour entendre sa conférence -en français!- sur «Spiritualité et liberté».
«Comment nos snobinettes pourront-elles l'an prochain étancher leur soif de métaphysique?», ironise l'hebdomadaire «la Vie française» lorsqu'il annonce sa prochaine absence de Paris pour ce sacre new-yorkais. Aussi étrange que cela sonne, soixante ans avant Derrida ou Foucault, Bergson est bel et bien la première rock star de la discipline. Le philosophe préféré des jeunes, des anticonformistes et des «it girls» lettrées de l'époque comme Anna de Noailles.
Un rôle diversement assumé par cet individu à la sensibilité toute proustienne, discret jusqu'à la moelle et pétri de principes extraordinairement rigides, qui fleurent une IIIe République désormais si surannée. Tapi dans son appartement de la villa Montmorency - aujourd'hui lieu de résidence de... Carla Bruni et de nombreuses autres figures du show-biz et du CAC 40 -, Bergson s'affole de sa renommée. Ainsi faut-il le prendre au mot lorsqu'il évoque ici, dans cette heure accordée au critique Jacques Morland il y a très exactement cent ans, sa gêne face au tapage occasionné par ses écrits et sa hantise d'être assimilé à un philosophe «pour dames», comme il en est des coiffeurs.
A en croire Frédéric Worms, maître d'oeuvre de la première édition critique des oeuvres complètes de Bergson qui s'achève cette année aux PUF, neuf volumes en Quadrige, les interviews accordées par l'auteur du «Rire» à des périodiques furent rarissimes, à peine trois ou quatre. Tous nos remerciements vont à Annie Neuburger, nièce et unique ayant droit du philosophe, pour avoir autorisé «le Nouvel Observateur» à publier aujourd'hui l'un de ces documents exceptionnels.
Alors au faîte de son influence, la pensée de Bergson imprègne dans les années 1910 tous les courants intellectuels français. Les catholiques comme Maritain ou Péguy y voient un temps le signal d'un réveil spirituel dans un monde décoloré par les savants et le matérialisme d'Auguste Comte. Surmontant ses préventions antijuives, Barrès affiche à son tour sa fascination pour le bergsonisme, arme de précision contre le cosmopolitisme kantien et l'idéologie des droits de l'homme, qui déracinent l'individu «de la terre de ses morts».
Mais un puissant bergsonisme de gauche verra aussi le jour. Un marxiste subtil comme Georges Sorel, ici élogieusement évoqué par Bergson, enrôle l'auteur de «Matière et Mémoire» dans la promotion de l'anarcho-syndicalisme, les grands mythes révolutionnaires étant selon lui inscrits dans cette «conscience profonde» découverte par le philosophe. Aux yeux de Sorel comme à ceux de Péguy, le bergsonisme, prolongeant Pascal, aide surtout à se débarrasser de la stupide philosophie rationaliste et optimiste implantée en France par Descartes et les Encyclopédistes.
Henri Bergson, premier debout à droite, à l'Ecole normale supérieure, promotion 1878.
(c) AFP
Outre les cas très spécifiques de Jaurès, ancien condisciple de Bergson à Normale-Sup, et de Julien Benda, l'auteur de «la Trahison des clercs», il n'est guère au fond que quelques antisémites fanatiques, comme Maurras ou Drumont, pour ne jamais avoir connu leur «moment bergsonien» durant ces années-là, préférant faire campagne inlassablement, à la manière de Daudet, contre «le petit juif tarabiscoté Bergson».
A quoi tiennent un tel phénomène générationnel et des influences parfois aussi contradictoires? A nombre de malentendus, bien sûr, comme l'a magistralement montré François Azouvi dans «la Gloire de Bergson», paru en 2007 (Gallimard). N'en déplaise à certains de ses adorateurs à l'époque, le bergsonisme fut une révolution philosophique avant tout. Pour la première fois de l'histoire de la métaphysique occidentale, un penseur faisait de l'immobilité des choses et des êtres une apparence, la mobilité et le temps étant l'être même.
Face à l'agitation politique entretenue autour de son nom, le très réservé philosophe d'Auteuil aura en revanche toujours préféré repousser le spectre de l'anarchie et rappeler le caractère insurmontable de la règle sociale. Une prudence de fond, dont on trouvera nombre de traces dans les propos reproduits plus bas, qui provoquera l'éclipse presque totale, quoique provisoire, de la pensée de Bergson quand viendra le «siècle de Sartre». On se réservera de la trouver irritante ou touchante souvent les deux.
Aude Lancelin
***

Si la jeunesse d'aujourd'hui prend goût à la philosophie, on peut bien dire que c'est grâce à M. Bergson. Les leçons de ce maître attirent au Collège de France une foule attentive. C'est qu'il apporte à ses auditeurs quelque chose de mieux encore que des idées: une méthode neuve, originale, par laquelle beaucoup d'esprits ont été séduits.
Une autre raison du succès de M. Bergson, c'est qu'à son avis: «Il n'y a rien en philosophie qui ne puisse se dire dans la langue de tout le monde.» Ce n'est que depuis le siècle dernier que les philosophes usent d'un jargon spécial: Descartes et Malebranche employaient le langage vulgaire et il ne semble pas qu'ils en fussent gênés. Les philosophes allemands nous ont fait oublier sur ce point la tradition française: on sait qu'ils se vantent de «pouvoir marcher d'un tel pas qu'en deux phrases ils savent se transporter là où personne ne saurait les suivre».
M. Bergson, au contraire, sans avoir la prétention de se mettre à la portée de tous, peut se flatter d'intéresser quiconque est capable de réfléchir. Il s'exprime autant que possible par des images bien choisies qui éclairent d'une vive clarté la notion qu'il s'agit de suggérer. Ces images sont comparables à des faisceaux lumineux dirigés dans la nuit sur un même objet et qui le rendent éblouissant. M. Bergson m'a tout récemment reçu dans son petit hôtel d'Auteuil, qui est la plus tranquille des retraites, au fond de la villa Montmorency, où on a l'illusion d'être très loin de Paris.
M. Bergson vient d'avoir 50 ans. On peut dire de ce philosophe qu'il est un homme jeune, tant est vive l'impression de continuelle activité que l'on éprouve en l'observant. Il a le front large et puissant, des yeux qui ressemblent un peu à ceux des oiseaux nocturnes habitués à voir dans les ténèbres, des yeux vifs, curieux de tout, qui se cachent sous l'ombre des sourcils, mais qui jettent des lueurs lorsque jaillit le mot attendu par lequel une idée devient soudain intelligible à tous. Une grande réserve dans les gestes et quelque chose de tendu et de contenu dans toute la personne témoignent d'une vie intérieure intense.
L'influence exercée par M. Bergsonest très grande. Elle agit dans les directions les plus diverses. M. Georges Sorel, auteur des «Réflexions sur la violence» et philosophe du syndicalisme, est un disciple de M. Bergsonau même titre que certains écrivains catholiques. A un siècle d'intervalle, nous assistons à un renouvellement de l'aventure intellectuelle du philosophe allemand Hegel, dont la doctrine inspira à la fois les conservateurs prussiens et des socialistes comme Karl Marx ou des anarchistes comme Bakounine. Telle est la force secrète d'une dialectique qu'on ne peut jamais prévoir à quelles fins elle sera utilisée.
J'ai demandé à M. Bergson son sentiment sur les influences contradictoires qu'a exercées son oeuvre. Il a voulu me dire d'abord qu'il regrettait le bruit fait autour de ses idées :
- La philosophie est une chose silencieuse. Il ne faudrait pas la mêler à tout comme on semble lefaire. C'est ainsi que l'on arrive à déformer quelquefois ce que je dis. Mon cours est d'une telle nature que je m'étonne de l'importance qu'on lui donne. J'ai seulement écarté un certain nombre d'idées toutes faites: je n'y ai pas grand mérite. J'ai essayé de développer le goût de l'observation intérieure. Mais je n'ai pas de système.
Accoudé à sa table chargée de livres, M. Bergson me répète cette affirmation: «Je n'ai pas de système.» Et il ajoute:
- Je n'ai pas un principe général dont je déduise des conséquences et qui me permette de répondre à n'importe quelle question sur n'importe quel sujet. On me demande fréquemment mon avis sur les questions les plus différentes et souvent je n'en pense rien du tout.
- J'ai étudié trois ou quatre problèmes: il me faut dix ans pour faire un livre, pour étudier un sujet. Et, mon premier livre achevé, j'aurais été incapable d'en tirer les idées que j'expose dans le second. Il m'a fallu pour faire celui-ci un contact prolongé avec un nouvel ordre de faits. Sans doute les conclusions de ce second travail se sont trouvées être en continuité avec celles du premier, mais je n'aurais pas pu les en déduire.
- A l'heure actuelle, je suis incapable de tirer des travaux que j'ai pu faire sur certains problèmes des conclusions concernant d'autres problèmes.
- Sur le syndicalisme comme sur d'autres questions du même genre, je n'ai que mon opinion d'électeur, qui s'est faite sur des lectures de revues ou de journaux, et qui serait certainement tout autre, sinon dans sa formule, au moins dans sa signification intérieure, si j'avais pu approfondir ces problèmes comme j'en ai approfondi deux ou trois autres.
- M. Georges Sorel a lu mes livres et s'est intéressé à mes cours. C'est un esprit tout à fait remarquable et personne n'a mieux compris que lui ce que j'ai dit. Certaines personnes en ont conclu que je partageais ses idées sur le syndicalisme, mais cela est faux.
M. Bergson ne s'inquiète d'ailleurs aucunement des conséquences que peuvent avoir ses idées dans le monde. Il m'exprime avec force ce sentiment. Sa recherche spéculative est complètement désintéressée. Mais je lui rappelle que la renaissance de la métaphysique dont il est le principal artisan est regardée dans certains milieux comme un danger pour les progrès de la science.
- Il ne faut pas avoir lu mes livres, me répond M. Bergson, pour penser qu'ils peuvent avoir une action contre la science. Je crois, au contraire, avoir travaillé pour elle.
Nous parlons des conditions de la recherche scientifique au siècle dernier, dont M. Emile Faguet a pu dire que c'était le siècle d'Auguste Comte.
- On croyait alors tout savoir. Auguste Comte voulut faire entrer dans les cadres de sa célèbre classification des sciences non seulement les sciences alors connues, mais aussi celles de l'avenir. M. Bergson pense, au contraire, que la science échappe à toute classification. C'est entre la chimie et la biologie, là où Comte ne voyait plus de place pour rien, que Pasteur a construit son oeuvre. Et depuis, entre ces délimitations si imprécises des sciences, que de découvertes ont été faites!
- Aujourd'hui, on ne peut plus être systématique comme on l'était au siècle dernier, ajoute M. Bergson. Et il insiste avec force sur cette remarque intéressante:
- De même que Gambetta a pu dire: «Il n'y a pas une question sociale, mais des questions sociales», il me semble que si ce que j'apporte contient quelque chose de nouveau, c'est qu'il n'y a pas un problème philosophique, mais une infinité de questions particulières qui demandent à être résolues séparément et qu'il est impossible de réduire à une seule.
M. Bergson, auteur de «l'Evolution créatrice», a montré que les explications scientifiques, vraies pour les phénomènes auxquels elles s'appliquent, ne peuvent s'élargir jusqu'à tout embrasser.
- La science, conclut M. Bergson, est une partie de l'absolu. Mais elle n'a pour domaine que ce qui se mesure.
Il n'est pas possible de résumer en quelques mots ce qui fait l'originalité de l'oeuvre de M. Bergson. Pour donner une idée de l'attitude qu'il a prise, on peut dire que son domaine est la Vie dont tous les raisonnements ne peuvent jamais exprimer en formules la continuelle mobilité. L'intelligence fige tout ce qu'elle atteint.
Aussi est-elle impuissante à saisir sur le vif un mouvement. Le seul moyen que nous ayons d'y réussir, c'est l'intuition: M. Bergson, par des images heureusement choisies, suggère ce qui n'est pas directement exprimable. Voilà le grand attrait de sa méthode, qui satisfait constamment la curiosité de l'esprit et donne le sentiment de pénétrer à l'aventure dans un monde inexploré.
Cette attitude prise par M. Bergson, en opposition avec la plupart des idées qui ont eu cours au siècle dernier, lui vaut les sympathies ardentes de la jeunesse. J'ai demandé au philosophe ce qu'il pense de cette génération nouvelle si diversement jugée.
- Elle a du sérieux, m'a-t-il répondu. Les jeunes gens d'aujourd'hui ont une idée profonde de la responsabilité individuelle. Ils sentent plus vivement que leurs aînés l'importance de leurs actes.
Ce n'est pas la jeunesse actuelle qui accueillerait avec faveur le scepticisme aimable des jeunes gens de 1890 qui se demandaient: «Est-ce la peine d'agir?» On ne s'occupe plus d'autre chose aujourd'hui. Nous n'avons plus que des hommes d'action, pressés de vivre et de bien vivre.
Ils ont renoncé à cette analyse déprimante qui immobilisait la jeunesse de 1890. L'influence des sports a été bonne. D'ailleurs ces aînés, incapables de réagir contre leur neurasthénie, n'ont jamais cessé d'admirer passionnément la vie intense des Américains, qu'ils étaient incapables d'imiter. Cette admiration a porté ses fruits: la jeunesse prodigieusement active d'aujourd'hui réalise les voeux de la génération qui la précède.
Mais n'a-t-on pas à son égard certaines sévérités? J'ai voulu savoir ce que pense M. Bergson de cette «crise du français» dont tout le monde se plaint aujourd'hui.
- Il me paraît certain que l'on écrit moins bien, m'a répondu M. Bergson. C'est peut-être parce que, pour bien écrire, il faut faire un effort, non certes pour chercher ses mots, mais pour arriver à bien comprendre soi-même ce que l'on veut dire. Il y a une tendance dangereuse à se contenter en tout d'un à peu près. Savoir écrire, c'est ne pas se contenter d'un à peu près.
M. Bergson me vante les bienfaits de la vieille éducation classique:
- Je ne dis pas, ajoute-t-il, que le latin soit indispensable pour bien écrire, mais il conduit tout naturellement à un résultat auquel on n'arrive sans lui qu'en se soumettant à une plus forte discipline. Il est bien évident que le latin ne peut avoir une influence utile qu'à la condition qu'on en fasse beaucoup. Et ce n'est plus le cas. Autrefois on faisait aussi du grec, et le grec, c'est la vraie langue classique.
Il y a d'autres raisons pour lesquelles on écrit moins bien.
- On a dit que le ton de la conversation se relâchait généralement et c'est vrai: on se surveille moins dans la parole parlée et moins encore dans la parole écrite. Il me semble que l'on n'a plus comme autrefois le besoin du travail bien fait et ceci est contraire à la grande tradition française.
Mais M. Bergson a la plus grande confiance dans l'avenir.
- Je crois qu'il n'y a en ceci rien de définitif: on peut réagir. Le seul fait d'avoir appelé l'attention sur le mal prouve qu'il existe une élite qui voit le danger et qui s'en défend. C'est une élite d'artistes et il y aura toujours des artistes, mais, en France, cela ne suffit pas. Il faut retrouver cette moyenne de bons Français cultivés que nous avons toujours eue depuis des siècles.
M. Bergson me cite le mot d'un Américain qui lui disait pour quelles raisons il admirait la France: «Tout y est tellement parfait, tellement fini.»
- Aujourd'hui, reprend M. Bergson, pour produire hâtivement, on ne finit plus rien, ni dans l'industrie ni dans le style. Et c'est fâcheux.
On s'est plaint de l'invasion des mots étrangers qui défigurent notre langue. Mais c'est une nécessité. M. Bergson n'y voit pas un grand inconvénient, et il ajoute:
- Le mot a moins d'importance que la manière de s'en servir. En causant des promesses et des craintes que donne la jeunesse d'aujourd'hui, nous nous sommes éloignés insensiblement des idées chères à M. Bergson. J'y reviens par une allusion aux quelques jeunes femmes qui assistent à ses leçons.
- Il ne faut pas, me dit-il, laisser s'accréditer la légende qui se forme et d'après laquelle mon cours serait un «cours pour dames». Si des dames ou des jeunes filles viennent m'écouter, elles sont pour la plupart des étudiantes qui ont reçu la même préparation spéciale que les jeunes gens.
Aucun philosophe n'est mieux que M. Bergson à la portée des êtres dont la sensibilité est vive. Toute personne cultivée peut le comprendre d'un bout à l'autre, bien qu'elle ne le comprenne pas nécessairement à fond. Par sa façon d'exposer sa philosophie, en suggérant ce qu'il a à dire plutôt qu'en le disant, il charme les esprits délicats qui aiment les nuances. Quelques amateurs vont à son cours comme à un beau concert. M. Bergson, lui-même, compare volontiers la philosophie et la musique.
- Beaucoup d'auditeurs, m'a-t-il dit, peuvent suivre d'un bout à l'autre l'exécution d'un morceau de musique et le comprennent d'un bout à l'autre, quoiqu'un petit nombre seulement aient assez de culture musicale pour le comprendre parfaitement: c'est ainsi que des personnes qui ne sont pas des philosophes peuvent prendre intérêt à ce que je dis. D'ailleurs nous faisons une erreur quand nous pensons que les femmes ne sont pas capables de comprendre la spéculation philosophique.
N'ont-elles pas cette qualité exceptionnelle que Renan appréciait tant, la finesse, qui fait juger de tout avec souplesse et avec amour ?

Propos recueillis par JACQUES MORLAND,
« l'Opinion », 19 août 1911
Publiés dans le tome 3 des « Ecrits philosophiques », d'Henri Bergson,
édition établie par Frédéric Worms. © PUF.
Source: "le Nouvel Observateur" du 11 août 2011.

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