24 mars 1163
Maurice de Sully et la première pierre de Notre-Dame de Paris
La cathédrale Notre-Dame de Paris, l'un des plus emblématiques monuments de la capitale, a huit siècles et demi d'existence. Les historiens supposent que son chantier a été inauguré par le pape Alexandre III à l'occasion de son passage à Paris le 24 mars 1163.
Sa construction, de 1163 à 1245 (et au-delà), intervient à un moment charnière de l’histoire de Paris et du royaume de France...
Marc Fourny
Une époque de foi
Avec la fin de l'anarchie féodale, une paix profite peu à peu au plus grand nombre. La capitale s’enrichit, les campagnes se repeuplent, la population s’accroît, les abbés défrichent… et les caisses de l’évêché se remplissent.
Au même moment, la renommée intellectuelle du chapitre de Notre-Dame dépasse les frontières de France.
La qualité de son enseignement attire rapidement une concentration de collèges sur la rive gauche de la Seine, concourant au rayonnement spirituel et intellectuel de la capitale.
En parallèle, le pouvoir royal s’affermit et se consolide, notamment avec l’avènement du souverain Philippe Auguste qui n’a de cesse de renforcer et développer sa capitale, en la rendant sûre et prospère, protégée par une enceinte massive.
Plus d’argent, plus de clercs, plus de fidèles et un roi entrepreneur et protecteur…
Il n’en faut pas plus pour lancer la plus incroyable des constructions : la plus grande cathédrale dans le style gothique.
Un évêque visionnaire
Encore faut-il tomber sur un évêque assez visionnaire pour se lancer dans cette aventure : Maurice de Sully accède, en 1160, à la tête de l’un des plus puissants diocèses de France. Il y demeurera jusqu'à sa mort, en 1196.
Qui est-il vraiment ? Un homme de foi, sans aucun doute, à la parole claire et aux sermons évocateurs – il va même prêcher en Angleterre.
D’origine très modeste (son père est paysan, sa mère bucheronne), il vient au monde près de Sully-sur-Loire et se trouve très tôt placé chez des moines bénédictins.
Il rejoint ensuite Paris pour poursuivre ses études, mendie son pain, fait le ménage chez ses condisciples, devient clerc et intègre le prestigieux chapitre de Notre-Dame qui finit par l’élire évêque.
L’homme est intelligent, humble et pragmatique, un habile administrateur doté sans aucun doute d’un caractère hors du commun.
Lorsqu’il prend les rênes de Paris, il existe déjà une cathédrale romane Sainte-Marie sur l’île de la Cité, qui vient sans doute d’être rénovée si l’on en croit les dernières études archéologiques, flanquée d’une autre église dédicacée à Saint Étienne.
Pourquoi détruire ces édifices ? Sans doute parce qu’ils ne suffisent plus à accueillir à la fois un chapitre prestigieux et une foule de fidèles de plus en plus dense – Paris va bientôt compter cinquante mille habitants.
Un autre argument est d’ordre politique : l’archevêque se doit d’afficher son pouvoir, non seulement face aux puissantes abbayes parisiennes de Saint-Victor, Sainte-Geneviève et surtout Saint-Germain-des-Prés, dont les possessions s’étendent en Anjou, en Berry et même en Suisse ; mais aussi pour tenir son rang devant les autres cités qui se lancent dans des constructions audacieuses comme Saint-Denis, Sens, Noyon ou Senlis. Paris doit prendre le train architectural en marche, si l’on peut dire. Et même le devancer.
Un pape à Paris
De fait, le chantier démarre rapidement, sans doute dès 1162 pour les fondations, et l’archevêque organise finement ses finances pour assurer des travaux continus. Ses remarquables talents de gestionnaire vont marquer les trente-six ans de son long épiscopat, durant lequel la nef sera quasiment construite aux trois-quarts.
Pour acheminer les matériaux, il perce une nouvelle voie, la rue Neuve Notre-Dame, large de six mètres, à travers un pâté de maisons situé face à la cathédrale.
Au printemps 1163, entre le 24 mars et le 25 avril très exactement, la tradition veut que le pape Alexandre III lui-même pose la première pierre de l’édifice.
L’événement n’est pas impossible puisque le pape a fui Rome et la fureur de l’empereur du Saint Empire qu’il vient d’excommunier. Il a trouvé refuge en France, entre Tours et Paris, et préside la dédicace du nouveau chœur gothique de l’église abbatiale de Saint-Germain en avril 1163.
En a-t-il profité pour faire un détour pour poser la première pierre de la nouvelle cathédrale ?
On sait que le pape appréciait Maurice de Sully. On peut compter sur la détermination de ce dernier pour le convaincre de bénir le chantier. Et faire enrager au passage les moines de Saint-Germain…
Un chantier de quatre vingts ans
Rien ne démontre à vrai dire que la construction de Notre-Dame ait débuté en 1162 ou 1163, après la visite du pape. On sait seulement que le choeur est achevé en 1177 et le maître-autel consacré en 1182 par le légat du pape, sous le règne de Philippe Auguste.
En 1239, le roi Saint Louis accueille à Notre-Dame la couronne d'épines, précieuse relique pour laquelle sera aussitôt érigé un superbe écrin, la Sainte Chapelle. Le gros oeuvre de la cathédrale est enfin achevé en 1245.
Le chantier a été financé par l'évêque, les chanoines, le roi lui-même et les fidèles. Ainsi l'évêque a-t-il offert cent livres, soit le prix d'une maison de ville, et le roi Louis VII deux cents livres. Le plan initial est réalisé par un certain Ricardus, maître maçon.
De ses quatre successeurs, nous ne connaissons que Jean de Chelles, dont le nom est gravé dans le soubassement du transept sud : «Maître Jean de Chelles a commencé ce travail le 2 des ides du mois de février 1258».