Le XVIIe siècle
français, siècle de Louis XIII (1610-1643)
et Louis XIV (1643-1715),
est le siècle des contrastes par excellence. Ce n'est pas pour rien que les
peintres de cette époque ont cultivé le clair-obscur !
En matière de pensée
et de moeurs, des mystiques et des dévots d'une rigueur encore inconnue à cette
date côtoient des « libertins » de haut vol,
puissants aristocrates ou fins lettrés, qui conjuguent liberté de pensée et
licence sexuelle, impiété et amoralisme.
Siècle des Saints,
siècle des libertins
Ce siècle a pu être
qualifié de « Siècle des Saints » car il a connu des
personnalités mystiques de très grande envergure : Saint François de Sales, la famille Arnaud et les Messieurs de Port-Royal, Saint Vincent de Paul... ainsi que de grands prédicateurs comme Fénelon, Bossuet et
le rival de celui-ci, Bourdaloue.
Mais il pourrait être
qualifié aussi de« Siècle des libertins » car, à la cour
et dans les salons parisiens, la débauche parfois teintée d'athéisme côtoyait
la dévotion, les mêmes personnes passant parfois de l'une à l'autre.
Ainsi Madame de Longueville (1619-1679).
Si aujourd'hui le mot libertin rime
aveccoquin, il n'en a pas toujours été ainsi. Traduction du latin libertinus,
il a été d'abord employé comme synonyme d'affranchi de la religion. À
ses origines, le libertinage a eu donc un contenu plus subversif que sexuel.
C'est sous le règne d'Henri IV que la foi commence à flancher chez les élites lettrées ;
elle est mise à l'épreuve par la découverte des auteurs antiques, qui leur
apporte de nouvelles références philosophiques, et surtout par les guerres de religion et les conversions plus ou moins forcées qui les conduisent
à se poser des questions sur la pertinence du dogme.
Dès le siècle
précédent, on a eu affaire à de premiers écrits mettant en cause les vérités
officielles et même l'existence de Dieu, ce qui a valu le bûcher à Michel Servetou encore Giordano Bruno.
Libertins « érudits » et
licencieux
Le « libertinage »,
qui définit l'attitude d'un libertin, peut être banalement hédoniste ou« érudit » selon
le mot de l'historien René Pintard (1943).
Le premier « libertin
érudit » fut Pierre Gassendi (1592-1655), un prêtre et
mathématicien aux mœurs irréprochables qui a redécouvert la pensée d'Épicure.
Avec lui aimaient à converser quelques jeunes gens spirituels et libres de
moeurs, tels le mémorialiste Tallemant des Réaux (1619-1692), auteur des Historiettes,
ou le poète Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655).
Mme de Sévigné (1626-1696),
qui a sans doute fréquenté ces personnes, se dit elle-même « libertine » par
sa manière spontanée d'écrire.
Simultanément, dans la période troublée qui sépare l'assassinat d'Henri IV (1610) de la reprise en main du pays par Richelieu (1630), quelques grands esprits se lâchent dans tous les sens du
mot.
À la
fois licencieux et athées, ils rejettent les conventions morales et les
conventions religieuses dans une soif irrépressible de liberté individuelle.Le
premier est le poète de cour Théophile de Viau (1590-1626), qualifié par ses
contemporains de « Prince des poètes ».
Né dans un milieu
protestant et contraint de passer au catholicisme, il est de fait athée.
Bisexuel, il s'illustre par un recueil de poèmes licencieux, le Parnasse
des poètes satyriques (1622) qui lui vaut une condamnation au bûcher ;
il y échappe grâce à ses amis qui plaident en sa faveur et le cachent.
La haute aristocratie
viole la morale publique
En 1661, après
que Louis XIV eut affirmé son autorité personnelle sur le royaume, il ne
fit plus bon afficher son impiété à la cour et dans les salons. Molière témoigne à sa manière du nouveau cours politique avec, le 15
février 1665, au Palais-Royal, la première de Dom Juan ou le Festin de
Pierre. La pièce met en scène un grand seigneur cynique et jouisseur
qui ne craint pas de défier la puissance divine.
Est-ce à dire que la
Cour s'aligne sur la morale janséniste ? Il s'en faut de beaucoup ! De
grands aristocrates démontrent une totale indifférence à la religion et à la
plus élémentaire morale, comme c'était déjà le cas à la génération précédente
avec la coterie qui entourait Gaston d'Orléans (1608-1660), le propre frère du
roi Louis XIII.
Au grand désespoir de
son successeur Louis XIV, de jeunes princes ne craignent pas de violer la loi
et la simple humanité par des jeux infâmes : tortures de prostituées, meurtres
gratuits de manants, viols d'enfants etc. Dans cette bande de pédérastes se
retrouvent l'un des enfants adultérins du roi, le comte de Vermandois, mais
aussi un fils de Colbert, un neveu de Condé etc. Bien entendu, leur statut leur assure discrétion et impunité.
Liberté et morale
Quand s'ouvre le Siècle
des Lumières, à la mort de Louis XIV (1715), la haute aristocratie trop longtemps tenue en bride
s'en donne à coeur joie avec la complicité du régent Philippe d'Orléans,
lui-même débauché et indifférent en matière religieuse... En 1782, à la veille
de la Révolution, Choderlos de Laclos, officier de cavalerie, a stigmatisé ces comportements dans un roman
épistolaire à succès : Les liaisons dangereuses.
Revenons à la Régence
: le retour de la paix et les avancées en matière scientifique favorisent la
croissance économiques et la montée d'une richissime classe de financiers.
Cette bourgeoisie, si fortunée qu'elle soit, entend profiter de la vie avec
mesure.
Elle va faire la
fortune des artisans décorateurs et en particulier du peintre Antoine Watteau. Il invente pour elle un nouveau genre pictural qui va se
prolonger jusqu'à l'avant-veille de la Révolution : les « fêtes
galantes ». Dans ces conversations pleines de sous-entendus érotiques entre
jeunes gens, on perçoit une forme adoucie et idéalisée du libertinage
aristocratique.
Chez les hommes de
lettres, le libertinage subversif du siècle précédent laisse la place à une
aspiration à la liberté commune. C'est désormais la société qu'il s'agit de
libérer et non plus soi-même. Cette aspiration va se développer tout au
long du Siècle des Lumières sous la plume des « philosophes » et
des « encyclopédistes ».
Ces hommes et ces
femmes de talent ont dépassé la question religieuse. La plupart s'affichent
agnostiques, anticléricaux ou simplement déistes. Rares sont ceux qui se
déclarent athées (Diderot). Leur comportement est celui des hommes de leur temps. Ils aiment la
vie et les plaisirs de la chair à de rares exceptions (Rousseau). Ils respectent la morale commune à de rares exceptions (Mirabeau). Ils ont de la compassion pour les humbles (Voltaire un peu moins que les autres).
Le marquis de Sade,
le dernier libertin
Libertin perdu en son
siècle, le marquis Donatien de Sade (1740-1814) fait figure d'extraterrestre. Grand seigneur
égocentrique et violent, il lui arrive de maltraiter prostituées et
domestiques. Il est en conflit aussi avec sa belle-famille, ce qui lui vaut
d'être incarcéré au total pendant vingt-sept années, notamment à
Vincennes et à la Bastille. En prison, faute de mieux, il se pique d'écrire et
développe l'idée que l'homme est foncièrement mauvais, s'il n'est
contraint par la morale et l'éducation (Justine ou les malheurs de la vertu, Les
120 jours de Sodome...).
Avec la Révolution et
le triomphe de la bourgeoisie industrieuse, c'en fut fini du libertinage sous
toutes ses formes : la liberté de conscience s'accommoda d'une Église devenue
garante de la morale civique et il devint loisible à chacun d'afficher soit son
incroyance soit sa foi ; d'autre part, les avancées démocratiques et la
réduction progressive des inégalités sociales mirent fin pendant deux siècles
aux excès les plus voyants de l'oligarchie.
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