Francis Matthys
D’Aragon, les lettres adressées à André Breton entre 1918 et 1931. Et la correspondance échangée entre Paulhan et Gallimard, de 1919 à 1968.
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Les chemins d’Aragon et Breton divorceront néanmoins. Au lendemain du Congrès de Kharkov, en 1930, Aragon adhérera au Parti communiste dont il ne se détachera que lorsque bourgeonnera le Printemps de Prague qui précéda l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars soviétiques à la fin d’août 68. Et l’on se souvient de son amer ultime éditorial des "Lettres françaises" (qu’il dirigea longtemps) où le poète avoue : "Je ne suis pas le personnage que vous prétendez m’imposer d’être ou d’avoir été. J’ai gâché ma vie et c’est tout". Cette adhésion à la Moscou de Staline provoquera donc la rupture avec l’auteur de "Nadja". Impossible d’ici résumer ces lettres d’Aragon dont les réponses d’André Breton, lit-on page 64, "ne pourraient évidemment figurer ici, en vertu de son testament. Il faut ajouter que très peu d’entre elles ont été retrouvées, après le décès du destinataire". Déplorons-le.
Ces lettres, souligne Lionel Follet qui les présente et les annote, sont "la chronique d’une amitié passionnée puis violemment rompue, en même temps qu’elles jalonnent un moment essentiel de la modernité du XXe siècle". Des pages d’abord écrites du front en 1918 et d’Alsace et de Sarre, après l’armistice. Elles livrent ensuite des échos de l’histoire du groupe surréaliste - entré dans la vie politique en 1925, un an après la retentissante publication du pamphlet "Un cadavre", publié à la mort d’Anatole France. Des lettres où apparaissent, naturellement, Rimbaud et Lautréamont - deux des dieux d’Aragon et Breton - ou bien Apollinaire et Reverdy.
Information intéressante, page 61 : "Ces lettres d’Aragon à André Breton sont entrées en 1937 à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, par le don de Mme Louis Solvay, collectionneuse belge bien connue, membre de la Société des Amis de la Bibliothèque. Nous ignorons dans quelles conditions, éventuellement par quels intermédiaires, elle les avait acquises, quand Breton s’en fut dessaisi après sa rupture avec Aragon".
Ainsi que l’observe Laurence Brisset qui, remarquablement, assure, présente et annote leur correspondance qui s’étend sur un demi-siècle, "Gaston Gallimard et Jean Paulhan sont des personnages que nous connaissons bien, mais des personnes que nous méconnaissons. Ce couple célèbre de l’édition a fait couler tellement d’encre que leur masque nous est plus familier que leur visage". Par chance, poursuit-elle, les deux hommes nous ont laissé une correspondance "de la plus belle eau" : l’expression vaut son pesant d’or. Peut-être parce qu’il abhorrait le téléphone, Jean Paulhan (Nîmes, 2 décembre 1884 - Paris, 9 octobre 1968) fut un épistolier phénoménal, à qui, dit-on, l’on doit des lettres ou des billets par milliers, plusieurs écrits chaque jour. Paulhan et Gaston Gallimard (1881-1975) se rencontrèrent en 1919; J.P. avait alors déjà publié "Le Guerrier appliqué", bref récit autobiographique publié à compte d’auteur en 1917, qui fut alors sélectionné en vue du Goncourt - sans l’obtenir. Cette correspondance fut "avant tout professionnelle", échangée entre deux hommes qui se verront presque quotidiennement, pendant des années, dans les locaux de "La Nouvelle Revue Française". Et Gaston G. écrira en 1950 à Paulhan : "Depuis la mort de Jacques Rivière (NdlR : en 1925), la NRF, la maison, c’est vous et moi".
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