http://www.lexpress.fr/culture/livre/en-espagne-on-manque-de-serieux-pour-faire-des-revolutions_1070707.html
De passage à Paris, le romancier Antonio Molina n'hésite pas à contester l'histoire officielle espagnole. Rencontre.
Votre roman, Dans la grande nuit des temps, traite de la guerre civile.  Quelle est la place de cet épisode tragique dans la littérature espagnole ? 
De plus en plus importante. Lorsque j'ai commencé à publier, dans les années  1980, nul ne parlait de ce que vous appelez la guerre d'Espagne. Il y a donc un  mieux. Mais, aujourd'hui, il faudrait passer à une autre étape : sortir de la  représentation simpliste où les républicains sont par essence les bons et les  nationalistes, les méchants.  
C'est le parti pris de votre roman : sortir des clichés.  Voulez-vous dire que le récit objectif, dépassionné, sur la guerre civile est  toujours aussi malaisé en Espagne ?
Disons que la tâche est rude. Les historiens ont fait leur travail, mais  celui-ci n'a pas irrigué la société espagnole, à commencer par le système  éducatif, qui est, chez nous, décentralisé, donc soumis au bon vouloir des  régions. Au Pays basque et en Catalogne, la guerre civile continue d'être  présentée comme celle de l'Espagne "éternelle", impérialiste, arrogante, etc.,  contre les provinces, "innocentes victimes" et toujours du côté du droit et de  la justice. Soit, pour la période 1936-1939, celui des républicains. Dans le  même ordre d'idées, un historien a vu récemment la couverture de son livre  censurée par sa propre maison d'édition au prétexte que celle-ci représentait  des habitants acclamant les troupes nationalistes après la chute de Barcelone.  Une telle scène est en effet impensable pour l'Histoire "officielle" : pas un  seul Catalan, pas un seul Basque, n'aurait, bien entendu, pu se commettre au  côté du futur Caudillo !   
Hemingway est le pire de tous. Il est manichéen et  simpliste. Malraux est plus difficile à juger. Son regard est généreux, mais sa  connaissance de la réalité est très limitée... Orwell aura sans doute été le  plus lucide, parce qu'il a su prendre de la distance avec l'idéologie du Poum,  le parti trotskiste dont il était proche. Mais le meilleur des écrivains sur la  guerre d'Espagne est Arturo Barea (1897-1957). La Forge d'un rebelle [NDLR  : publié en 1948 chez Gallimard, aujourd'hui introuvable], trilogie  autobiographique écrite en exil par un républicain qui a toujours condamné les  excès commis par son propre camp, est, de mon point de vue, la plus belle oeuvre  sur la guerre d'Espagne.   
Pour être aussi précis, notamment sur les  intellectuels et les artistes, Buñuel, Lorca..., vous avez sans doute réuni une documentation  impressionnante. Comment travaillez-vous ?   
Au risque de vous décevoir et de passer pour arrogant [rires], sachez que je  n'ai pas de documentation particulière. Juste une familiarité avec ces  personnages. Sous le franquisme, les côtoyer, même de manière livresque, était  l'expression d'une sympathie. Une forme d'engagement.   
Votre roman fait songer à La  Modification, de Michel Butor. Les sentiments se métamorphosent au fur et à  mesure que l'on se déplace dans l'espace... 
J'ai lu La  Modification, mais c'est à... La Montagne magique que j'ai pensé en débutant ce  livre. Sous la plume de Thomas Mann, tout déplacement physique est également doublé  d'un déplacement mental.  
En Espagne, on manque de sérieux pour faire des révolutions",  dit un des personnages. Que signifie cette formule ?
Il faut se rappeler la situation à Madrid à l'été 1936. Le gouvernement  central s'évapore, les franquistes attaquent la ville, et, du côté républicain,  chaque tendance - communistes, anarchistes, trotskistes... - fait sa propre  révolution. Les uns et les autres volent des armes et des uniformes, tuent  allègrement des bourgeois et brûlent des églises. Notez qu'ils ne s'en prennent  jamais aux banques ! Ces scènes, rapportées dans mon livre, ont évoqué à ma  femme L'Enterrement de la sardine, de Goya. Dans ce tableau, des  Espagnols en liesse, et grimés comme à carnaval, manifestent leur joie à  l'annonce du départ des troupes de Napoléon. A Madrid, l'été 1936, il y avait  aussi quelque chose de carnavalesque.  
Goya, justement : de nombreuses scènes de votre livre sont des  descriptions de tableaux. D'où vient cette sensibilité ?
Je suis historien de l'art de formation. Mon imagination est visuelle. Je ne  sais pas faire autrement...  
  
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