martes, 30 de octubre de 2012

Jacques Dupin


La mort de Jacques Dupin


Grand critique d'art et grand poète, l'ami de René Char et Francis Bacon avait 85 ans.


Jacques Dupin, sur la couverture de la revue "Europe", qui lui consacrait un numéro spécial en juin dernier. (DR)
Jacques Dupin, sur la couverture de la revue "Europe", qui lui consacrait un numéro spécial en juin dernier. (DR)

Jacques Dupin est mort samedi 27 octobre à Paris. Certains retiendront qu’il était poète, ami de René Char ou Yves Bonnefoy, auteur de recueils comme «Echancré», «le Grésil», «Ecart» ou «Coudrier». D’autres se rappelleront plus volontiers le spécialiste d’art, biographe de Miro et proche de Giacometti, qui a offert les murs de la galerie Lelong, dont il était le cofondateur, à Tapiès ou Bacon.
Il faudra en fait se souvenir de lui comme d'un artiste qui a abrité en lui les passions conjointes de l’écriture et de la peinture, deux activités connexes, au fond, qui tentent de figurer la matière avec des fluides pigmentés appliqués sur une surface plane. Pour ceux qui ne connaissent pas son œuvre, on signale d’emblée que le site Remue.net lui consacre un dossier passionnant et extrêmement complet.
 

Amour de la peinture

Jacques Dupin naît à Privas, en Ardèche, en 1927, où son père dirige un asile psychiatrique. Il fait ses études de droit et d’histoire à Paris. En 1947, il rencontre René Char, auquel il a envoyé quelques poèmes. Le maître de l’Isle-sur-la-Sorgue préface en 1950 son premier recueil, «Cendrier du voyage».
C’est pendant l’année 1954 que tout se joue: Dupin rencontre Miro et Giacometti. Ses premiers livres sur l’art paraissent. Collaborant avec la galerie Maeght comme libraire depuis 1955, il publie en 1961 sa grande monographie sur Miro. En 1963, après une monographie non moins grande sur Giacometti, il est le premier à écrire un livre sur Tapiès. On lui doit aussi des rétrospectives de Michaux ou Brancusi, une préface de catalogue consacrée à son ami Francis Bacon, qui réalisera d’ailleurs un portrait sublime du poète en 1990.
L’universitaire Dominique Viart explique dans «la Littérature française au présent» qu’il faudra continuer à lire les écrits de Dupin sur l’art. «C’est dans ses textes sur la peinture que Jacques Dupin se livre sans doute le plus. Sa poésie âpre, rendue aigüe et retenue à la fois par la pudeur qui impersonnalise ses tensions, s’y abandonne à de plus intimes confidences.»

Haine de la poésie

Ne pas pour autant négliger son œuvre poétique à proprement parler. S’il a cofondé la revue «l’Ephémère» en 1966 avec Bonnefoy, Celan, Leiris ou des Forêts, son travail reste irréductiblement singulier, par sa violence et son audace. Dans de récents entretiens avec Alain Freixe parus dans «l’Humanité», Dupin disait partager la «haine de la poésie» chère à Bataille, qui signifiait pour lui la «destruction salubre d’une encombre de scories et de rosiers attendrissants qui font obstacle à la vue et entravent le pas en chemin vers l’inconnu.»
Ses poèmes sont secs comme le paysage ardéchois. Jean-Michel Maulpoix voit son écriture comme «un parcours très physique au sein d’un territoire aride». Maulpoix analyse ainsi «Grand vent», texte qui ouvre son recueil «Gravir» («La chair endurera ce que l’œil a souffert, / Ce que les loups n’ont pas rêvé / avant de descendre à la mer.»): «Le mouvement fondamental du poème est d’aller péniblement vers le plus haut qui est aussi le plus vide, de se diriger vers le peu, le rare, voire l’irrespirable.»
Dupin offre son écriture au décharnement cher à Giacometti, qui prend l’apparence du souffle coupé, du langage retenu. La ponctuation entrave le vers et rend la lecture éprouvante. Il est un poète du corps et de la matière, formule éculée qui fait sourire les cyniques, mais qui ici s’impose. Il écrit lui-même dans «le Corps clairvoyant»:
Extraire le corps
de sa gangue de terre
brûlée, de terre
écrite.
Son œuvre est une promenade sur un chemin malaisé, «une dégringolade par une pente de broussailles et de ronces jusqu’à la gorge rocailleuse» («Ecarts», 2000).
Et il prend la pénibilité de la marche très au sérieux. Dans ses derniers recueils, il donne au paysage de la page l’apparence de son pas claudiquant, en utilisant les espaces comme des silences du corps. « Je marche en boitant. J’écris en boitant. » C’est François Bon, dans un texte passionnant publié en 2002, qui le résume le mieux: Dupin «soulign[e] partout cette frontière par quoi écriture et corps s’écrivent ensemble comme mouvement et comme expérience.»
Dupin n’était pas un poète-théoricien. On a tenté de ranger son œuvre parmi les « pratiques poétiques […] autoréférentielles », comme l’a déploré Dominique Viart, mais l’artiste lui-même voulait «écrire en se gardant du spéculaire» («Echancré»). Il avait repris à son compte la formule de Mallarmé pour désigner sa poésie comme «l’absente de tout bouquet». Il visait la «blanche écriture tendue au-dessus d’un abîme approximatif». Le poète est une brèche ouverte au centre du poème. Jacques Dupin savait qu’on n’écrit qu’«à la condition d’être mort».
David Caviglioli

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