martes, 31 de mayo de 2011

Le phénomène Atys: le sacre du baroque

Le phénomène Atys: le sacre du baroque

Par Bertrand Dermoncourt (L'Express), publié le 30/05/2011
 

Le phénomène Atys: le sacre du baroque
A l'origine de la grande vague baroque qui déferle sur la France depuis 20 ans, Atys (ici, la version 20) a remis les codes, le vocabulaire et le style de l'opéra prémozartien, jusqu'alors oubliés, au goût du jour.
P. Grobois

Triomphe inattendu en 1987, Atys, la tragédie lyrique préférée du Roi-Soleil, a converti la France au répertoire du Grand Siècle. Explications du phénomène, à l'occasion de la reprise de l'opéra de Lully.

Il y a ceux qui ont pu réserver leur place un an à l'avance. D'autres qui se sont abonnés à la saison complète de l'Opéra- Comique pour être sûrs "d'en être". Et puis il y a les moins chanceux qui arpentent la rue Favart, à Paris, en espérant décrocher au dernier moment une place au marché noir. Mais qu'on ne s'y trompe pas: ces passionnés n'attendent pas la reformation des Doors, ni les adieux de Johnny Hallyday. Dans une cohue et un brouhaha comme on n'en voit jamais aux abords d'une salle d'opéra, ils patientent avant de voir ou de revoir Atys, de Lully, créé en 1987 dans la production de Jean-Marie Villégier, du chef d'orchestre William Christie et de ses Arts florissants, et repris aujourd'hui.
Une fois la représentation commencée, le calme revient. Le public est là pour déguster et admirer. Car Atys, devenu un véritable mythe, est à l'origine de la grande vague baroque qui déferle sur la France depuis vingt ans. Dans la salle, la concentration est maximale, le bonheur palpable. Répondant à un besoin de nouveauté que la musique contemporaine n'arrive pas à étancher, la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, celle de l'époque baroque, a retrouvé sa place dans la vie musicale et dans le coeur des mélomanes.
Le phénomène Atys: le sacre du baroque
 

Mise en scène rigoureuse, décors et costumes inspirés, chanteurs talentueux...Vingt-quatre ans après, la magie d'Atys opère toujours.
P. Grobois
A la traîne avant le triomphe d'Atys, la France est désormais le premier producteur mondial du genre et une incomparable terre d'accueil. Ce n'est pas un hasard si de grandes figures de la musique ancienne, comme l'Espagnol Jordi Savall, le Belge René Jacobs ou l'Allemande Christina Pluhar, se sont installées dans l'Hexagone. Et si les Italiens redécouvrent, eux aussi, leur patrimoine, c'est bien souvent grâce à leurs engagements avec le pays de Lully et à l'investissement des maisons de disques tricolores. Ultime preuve: une enquête récente du magazine professionnel La Lettre du musicien recensait "plus d'une centaine d'ensembles baroques en France". Un record mondial. D'autant plus surprenant qu'il y a vingt-cinq ans les "baroqueux" étaient moins d'une douzaine.
Ce bouleversement ne serait sans doute pas advenu sans le choc provoqué par Atys, en 1987. Créée en 1676, la tragédie lyrique favorite de Louis XIV, qui n'avait plus été jouée depuis 1753, vivait là une seconde naissance. Les choses n'allaient pourtant pas de soi. Les codes, le vocabulaire et le style de l'opéra prémozartien étaient alors totalement oubliés. Jusqu'au moment où William Christie, un Américain amoureux de la France et de sa musique ancienne, se donnait pour mission de la rejouer selon ses principes originaux. L'idée, d'ailleurs, était dans l'air du temps. Mais si le festival d'Aix remettait Rameau au goût du jour, Christie s'attachait, lui, à des maîtres plus méconnus encore: Charpentier et Lully. Atys fut le bon choix, au bon moment. Et une réussite totale.
Atys de Lully et Quinault, Acte 4 Scène 5: Le dieu du fleuve Sangar. Extrait de l'enregistrement réalisé à Montpellier en 1987.
L'enregistrement, paru quelques mois seulement après la première du spectacle, connut, lui aussi, un immense succès et imposa les Arts florissants parmi les "best-sellers" du label Harmonia Mundi.
Philippe Maillard, devenu aujourd'hui l'organisateur n°1 des concerts baroques parisiens, lançait son entreprise dans la foulée. Il ne fut pas le seul. "L'impact le plus direct d'Atys, analyse-t-il, a été la création de nombreux ensembles, qui sont actuellement les références de la vie musicale." Notamment avec Christophe Rousset, le chef des Talens lyriques, Marc Minkowski (Les Musiciens du Louvre), Hervé Niquet (Le Concert spirituel) ou Hugo Reyne (La Simphonie du Marais). "Il y a peu de chefs d'orchestre brillants aujourd'hui dans ce répertoire qui n'ont pas fait leurs premières armes dans le choeur ou dans l'orchestre des Arts florissants", remarquait Hugues Gall au moment d'accueillir William Christie sous la coupole de l'Institut de France, en janvier 2010.
Le phénomène Atys: le sacre du baroque
Pour le chef d'orchestre William Christie, l'un des artisans de la résurrection triomphale d'Atys, en 1987, "ce qui semblait difficile il y a vingt-cinq ans paraît plus simple aujourd'hui. Cela nous permet d'aller plus loin."
M. Szabo
Ce fut aussi un déclencheur pour les musiciens.
Philippe Maillard, organisateur de concerts baroques parisiens.
Le milieu professionnel fut d'abord surpris par le succès d'Atys, une oeuvre inédite d'un compositeur mal connu. "Il y a eu une prise de conscience collective, et puis tout a changé très vite", se souvient Lorraine Villermaux, administratrice des Talens lyriques. William Christie a fini par jouer dans les salles les plus académiques, comme celle du palais Garnier, les productions se sont multipliées, des festivals se sont créés (Beaune, Ambronay...) et un centre de recherche a éclos à Versailles, le Centre de musique baroque (CMBV). Tant et si bien qu'on ne peut plus imaginer une saison lyrique sans une certaine dose de répertoire baroque.
Mais ce n'est pas tout. "Atys fut également un déclencheur pour les musiciens, rappelle Philippe Maillard. Avant, on disait que les musiciens étaient devenus baroques parce qu'ils n'avaient pas le niveau pour jouer dans les ensembles "normaux". Après, cette forme de dédain a disparu. Les baroqueux n'étaient plus considérés comme des pionniers, ils pouvaient enfin assumer pleinement leur choix."
Avant, on disait que les musiciens étaient devenus baroques parce qu'ils n'avaient pas le niveau pour jouer dans les ensembles "normaux". Après [Atys], cette forme de dédain a disparu.
Philippe Maillard.
Du coup, les conservatoires ont suivi et forment désormais chaque année plusieurs dizaines de musiciens "baroques" - entendez: "sur instruments anciens". En conséquence de quoi le niveau a monté. "Ce qui semblait difficile il y a vingt-cinq ans, constate William Christie, paraît plus simple aujourd'hui. Cela nous permet d'aller plus loin."
Emerge ainsi un nouveau type de musiciens, ayant tout assimilé: d'abord le travail sur le langage musical de leurs aînés, mais aussi la couleur instrumentale, les liens entre la musique écrite et l'improvisation. "La situation est plus ouverte et plus tolérante que jamais", explique Philippe Maillard. Selon Franck Jaffrès, directeur artistique de Zig Zag Territoires, l'une des nombreuses maisons de disques françaises consacrées au répertoire baroque, "la tendance actuelle est à la redécouverte du xviie siècle, encore mal connu. La boîte aux trésors est à peine ouverte. Il reste des milliers d'heures de musique passionnante à explorer." De nouveaux groupes comme les Traversées baroques, Correspondances ou Pygmalion s'y consacrent à leur tour.

Atys, Remix 2011

Repris à l'identique vingt-quatre ans après sa création, l'Atys de Lully vu par Villégier et Christie allait-il passer les années sans encombre? On pouvait en douter. Il n'en est rien: si Atys ne peut plus, en 2011, jouer le choc de la découverte, il conserve toutefois son rang de production exemplaire, magnifiée par une mise en scène rigoureuse et le talent d'une équipe (décors, costumes) inspirée.
C'est le -premier- miracle de cette musique d'une fluidité et d'une expressivité étonnantes, en osmose avec le remarquable livret imaginé par Quinault. Dans ce drame de l'amour, les Arts florissants font preuve d'une précision et d'une souplesse bien supérieures encore à celles des origines. Second miracle: la révélation d'un immense Atys, le ténor suisse Bernard Richter, qui emporte ses partenaires, Stéphanie d'Oustrac et Emmanuelle de Negri, vers des sommets tragiques. Il serait dommage d'attendre encore vingt-quatre ans pour retrouver une telle merveille.
Si les défis artistiques qui attendent les nouveaux musiciens sont nombreux, les questions économiques sont également primordiales. "Vendre des concerts d'artistes inconnus jouant des oeuvres inconnues n'est vraiment pas facile", reconnaît Philippe Maillard. D'autant que la concurrence est de plus en plus rude. Signe que les formations baroques "sont peut-être en nombre trop important", comme le remarque la responsable du mécénat culturel de la Fondation Orange, qui a aidé de nombreux jeunes musiciens à se lancer.
Peu soutenues par le ministère de la Culture -les subventions de la douzaine d'ensembles baroques importants seraient égales à celle d'un gros orchestre parisien- les formations multiplient les résidences en région pour boucler leurs budgets. Un système paradoxal, qui impose une implantation locale forte à des ensembles à vocation internationale. Il s'est ainsi créé un monde musical à deux vitesses: la vie sans risques pour les orchestres traditionnels et l'intermittence pour les baroqueux.
Un modèle unique reste donc à inventer. Car, depuis trente ans, l'Etat se contente de suivre le mouvement et "n'a pas pris le temps d'une réflexion sur le fond", regrette Lorraine Villermaux. Pour augmenter les subventions des baroqueux, une solution serait en effet d'en supprimer ailleurs. Une décision qui demanderait un réel courage politique. Elle n'a pas été prise jusqu'à présent. "C'est d'autant plus étrange, poursuit l'administratrice des Talens lyriques, que le baroque est devenu un domaine d'excellence de la France et un véritable secteur créateur d'emplois."
Quant à Lully, il est mieux connu: Christophe Rousset vient d'enregistrer son dernier opéra encore inédit en disque, Bellérophon. Rançon du succès car signe d'une certaine banalisation: de nombreuses productions ont été montées, mais bien peu ont su retrouver la vigueur de la mise en scène de Jean-Marie Villégier. Atys a tendu un miroir dans lequel le monde musical n'a pas fini de se regarder.

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